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L’état d’urgence ne suspendra pas le droit social

  • Photo du rédacteur: Meriem Ghenim
    Meriem Ghenim
  • 25 nov. 2021
  • 6 min de lecture

Modifiées par de nombreux décrets d’application temporaire pendant la crise sanitaire, les règles régissant les rapports de travail, de l’embauche jusqu’à l’éventuel contentieux, peinent à trouver application, en mettant de côté nombre de principes fondamentaux. Des outils existent pour y faire face.




DANS LES TRIBUNAUX : LES PROCÉDURES CONTENTIEUSES MALMENÉES


◆ Des délais prud’homaux privant la justice de toute efficacité


Depuis une reprise parcellaire en mai 2020, les délais de renvoi des dossiers sont aussi excessifs qu’imprévisibles, parfois même sans fixation, privant les avocats et les justiciables d’une quelconque visibilité. Aucune section, aucun Conseil ne connaissent des délais similaires, source d’incertitude rendant le travail des avocats d’autant plus ardu. Malgré ces criants constats, le Gouvernement poursuit son projet de fusion des CPH, qui aggravera évidemment cette situation. Face à ces difficultés, la Cour d’appel de Versailles, saisie en raison des délais excessifs du CPH de Nanterre, a rendu une ordonnance de dépaysement (1) de 70 dossiers d’encadrement vers Saint Germain en Laye. Ces solutions temporaires doivent s’accompagner d’action en responsabilité de l’État pour fonctionnement défectueux du service public de la justice, dénonçant ainsi la violation du délai raisonnable exigé par l’article 6 de la CEDH.


◆ Une audience de Conciliation, d’Orientation, mais pas de Provision


Les délais de fixation (atteignant parfois un an comme à Boulogne Billancourt) en BCO nous privent de la possibilité d’utiliser ce préalable obligatoire comme une audience provisionnelle, contraignant les saisines en référés pour l’obtention de documents sociaux de rupture ou de solde de tout compte. Pour faire face à ces difficultés d’audiencement, il faut envisager l’assignation à jour fixe en BCO pour éviter la duplication des procédures.

Au-delà des délais d’audiencement, les demandes provisionnelles sont fréquemment rejetées par méconnaissance procédurale, alors qu’elles permettent, faute d’accord, de donner une utilité à cette étape procédurale incontournable et chronophage. Multiplions-les pour faire de l’exception un usage !


◆ Les référés inaccessibles…


Rôles surchargés, audiences bâclées, et déboutés sur contestations sérieuses, les juges niant l’urgence malgré l’évidence, tels sont les nouvelles règles du référé prud’homal. Mais, à l’instar de toutes les autres juridictions, le référé est fondamental pour réguler rapidement le contentieux de l’évidence et éviter les conséquences dramatiques des délais excessifs sur des situations de précarité. Malgré l’importance de ces contentieux, le référé prud’homal est, une fois de plus, le parent pauvre de l’audience civile. Bien que cette difficulté nécessite une multiplication des audiences de référés, rappelons aux Conseils les règles de procédure civile et jurisprudences de droit commun dans nos plaidoiries. La compétence du référé prud’homal est aussi étendue que celle du Tribunal Judiciaire, et doit être appliquée avec la même rigueur.


◆ Les contentieux devant la Cour d’Appel : le naufrage des droits des salariés


La crise sanitaire a entraîné un certain nombre de renoncements aux droits fondamentaux. En effet, sous prétexte de la pandémie, plusieurs Cours d’Appel, pour pallier les difficultés structurelles déjà préexistantes, vont accentuer la pression sur les salariés et leurs avocats, pour les empêcher de plaider, les privant ainsi d’un véritable second degré de juridiction. Comme nous l’a indiqué David Metin, Avocat à Versailles : « nous pourrions accepter un temps de plaidoirie limité, si toutefois les rapports des Conseillers étaient suffisamment complets, ce qui n’est pas souvent le cas….» La publicité des débats est également de plus en plus anecdotique, tant il est affiché que la plaidoirie intéresse peu. Rachel Spire, Avocate à Paris rapportait qu’un conseiller à la CA de Paris, avait indiqué à son client, en lui recommandant de déposer « ce sont les écritures et les pièces qui comptent pour ma décision, votre avocate peut chanter la marseillaise que ça ne changerait pas mon appréciation».


Cette confiscation de la parole des avocats a pour prétexte la crise sanitaire et le respect des jauges dans les juridictions. Toutefois, cette situation temporaire risque de s’installer puisque l’inclination est à la disparition de l’oralité Il faut bien entendu refuser ce simulacre de justice, et ne pas hésiter à exiger le droit à un procès équitable. … et l’inaccessibilité aux droits Ces contentieux s’inscrivent dans un contexte où la crise sanitaire a entraîné une intense production normative, tant au travers d’ordonnances, mais également d’accords d’entreprises dérogatoires, laissant les salariés et employeurs, et leurs avocats dans une très grande incertitude. Outre les publications contraires quotidiennes, questionnant l’applicabilité dans le temps, les déclarations gouvernementales tant écoutées ne précèdent pas toujours des décrets, semant un trouble évident entre la croyance et la réalité. Malheureusement, nous ne pouvons pas viser des discours présidentiels dans nos conclusions. Le « dialogue social », érigé en source de droit, crée une norme par entreprise. Mais si la mise à jour Légifrance rend l’accès à la loi difficile, l’accès aux accords d’entreprises relève de l’impossible. L’accès à la norme juridique est en péril, bien au-delà des questions d’intelligibilité de la loi qui animaient le Conseil constitutionnel dans les années 90, il est désormais question d’accès au texte.


DANS LES ENTREPRISES : LA MISE EN ŒUVRE DU DROIT SOCIAL ÉTRILLÉE


◆ Le dialogue social et la lutte syndicale en temps de Covid


Les ordonnances dites « Covid » ont modifié les relations collectives du travail. Le dialogue social a été bouleversé par le recours à la visioconférence, ses aléas techniques et la réduction des délais de réunions. La lutte sociale s’est complexifiée, avec la limitation de la circulation au sein des entreprises (sanctionnée par les tribunaux (2)), l’interdiction des rassemblements, mais également par le retard pris dans les formations des élus. Les salariés en télétravail sont détachés du collectif de travail et isolés de leurs pairs. Sur ces sujets, sensibilisons les élus et les salariés sur leurs droits. La lutte sociale ne peut être limitée par la crise sanitaire qui s’inscrit dans la durée.


La santé et la sécurité des salariés à protéger au sein de l’entreprise en temps de pandémie


Le maintien en activité des salariés pendant la période d’épidémie a donné lieu à un certain nombre de litiges. Les arrêts AMAZON et RENAULT ont réaffirmé le principe selon lequel l’employeur doit d’une part évaluer les risques et mettre à jour le document unique d’évaluation des risques (DUER), et d’autre part, mettre en place les principes de prévention généraux garantissant la santé et la sécurité des salariés. Passée cette période de confinement, on peut s’interroger sur la protection de la santé et la sécurité des salariés, mais aussi sur la prévention des risques psychosociaux. Il est fondamental que les élus s’emparent de ce contentieux et saisissent le juge, par la voie du référé ou de l’assignation à jour fixe. De même, les salariés et leurs représentants peuvent contester les protocoles mis en place quand ils sont manifestement insuffisants, et qu’un danger imminent existe pour les salariés. La question de la santé au travail est centrale, et le SAF organisera une journée d’étude à Marseille sur ce thème, lors du printemps du SAF du 21 au 23 mai 2021.


◆ Les motifs de rupture farfelus facilités par les ordonnances Macron


Si nous attendions un florilège de licenciements économiques, conséquences des difficultés des grandes entreprises au cœur des inquiétudes gouvernementales, l’heure n’est pas encore aux plans sociaux. En revanche, le plafonnement des indemnités prud’homales permettent l’émergence de nouveaux motifs de licenciement sortis du chapeau, manifestement infondés, et au risque mesuré et chiffré. Se multiplient, depuis le mois de mars, les fautes graves improvisées, les licenciements verbaux ou simplement par «fermeture du rideau», plongeant les salariés victimes dans une précarité financière sans précédent. Mais les barèmes dit « Macron » ne sont pas une fatalité. Suivant les conclusions de nos consœurs Maude Beckers et Pauline Blaise, le CPH de Bobigny l’a encore rappelé le 16 décembre malgré l’avis de la Cour de Cassation (3), le préjudice n’est pas qu’une affaire d’ancienneté ! Si le Comité Européen des Droits Sociaux connait manifestement les mêmes difficultés d’audiencement que les juridictions sociales françaises, rappelons que la France a vu son barème désavoué dans le cadre de son intervention volontaire aux côtés de sa voisine Italienne (4).


◆ Le droit social face à un avenir économique incertain


Les Cassandre annoncent une crise économique et donc sociale sans précédent. Comment réagiront les juridictions face à des ruptures de contrat de travail abusives et à des plans sociaux insuffisants? La vigilance sur ces aspects est fondamentale, tant la crise sociale risque d’être importante. Le gouvernement prépare actuellement une ordonnance sur le droit des sûretés qui rétrograde des créances salariales, entraînant un risque de non-paiement des salaires. Si le droit du travail a été malmené par la crise sanitaire, les moyens de lutter contre le recul des droits sont nombreux, et doivent se multiplier pour éviter la crise sociale que l’on nous annonce. Saisissons-nous des outils existants, et créons ceux qui nous manquent, pour un droit à la hauteur des enjeux du travail.


1. Ordonnance du premier président de la Cour d'appel de Versailles n°259/2020 du 26.06.2020) 2. TJ de Saint Nazaire, 27 avril 2020 Rg n°20/00125, TJ de Nanterre, 6 mai 2020 – Rg n°20/00731, Dt. Ouvr., juin 2020, p. 447. 3. CPH de BOBIGNY-jugement du 16 décembre 2020 19/00680 4. Confederazione Generale Italiana del Lavoro (CGIL) c. Italie, Réclamation n° 158/2017 Décision du 11.09.2019, publiée le 11.02.2020


 
 
 

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